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Calme Gutenberg : quand ne pas faire la fête devient subversif

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Calme Gutenberg : en fait, vraisemblablement un couple qui habite dans une rue animée et qui ne le supporte plus

Calme Gutenberg : en fait, vraisemblablement un couple qui habite dans une rue animée et qui ne le supporte plus

Toute la France s’insulte et se déchire pour savoir si elle est Charlie ou non. Toute ? Non. A Strasbourg, on s’insulte et on se déchire également pour pouvoir faire la fête la nuit. Un groupe de riverains du centre-ville, qui se fait appeler Calme Gutenberg, a décidé d’interpeller l’opinion et les pouvoirs publics en filmant et en photographiant en cachette les rues du centre-ville certaines nuits pour dénoncer les troubles causés par tous ceux qui sortent des bars, des boîtes ou de soirées : alcoolisme prononcé, cris, chants, insultes, bagarres, pisse et vomi, tout y passe. Les « fêtards », eux, ne sont pas contents de ces accusations et le font aussi savoir.

Fêtards contre anti-fêtards

Je ne suis pas journaliste et je n’ai pas suivi cette affaire dans le détail. Force est cependant de constater qu’après au moins un an de vidéos, de débats dans les journaux locaux et de relais dans certains journaux nationaux, la page Facebook Calme Gutenberg ne compte que 779 « j’aime » – ce qui me paraît ridiculement petit par rapport à l’ampleur de toute cette affaire. Rien que la page Calme Gutenberg 2.0, qui se moque de Calme Gutenberg, se voit gratifiée de 1651 « j’aime ». Il semble aussi que Calme Gutenberg soit animée par un nombre très petit de personnes, peut-être même seulement deux !

Les fêtards ne sont pas seulement très nombreux. Ils comptent également de nombreux soutiens. Certes, les principaux élus municipaux sont bien obligés, par leur mandat, de faire respecter la loi, le calme et l’ordre public dans leur ville. Mais ils se sentent tout autant obligés de défendre la vie nocturne strasbourgeoise : pour la vie économique, pour les loisirs d’une grande partie de la population (très étudiante à Strasbourg) et évidemment surtout parce que Strasbourg est censée être une capitale européenne et que tous constatent que sa vie nocturne n’est pas à la hauteur.

Le bandeau de la page qui se moque de Calme Gutenberg. Les commentaires ne sont pas tous aussi drôles ou ironiques.

Le bandeau de la page qui se moque de Calme Gutenberg. Les commentaires ne sont pas tous aussi drôles ou ironiques.

à fascistes, fascistes et demi

On ne peut donc pas dire que les fêtards de Strasbourg soient une minorité opprimée ou dénoncée par une majorité oppressante. Il n’y a pas non plus une multiplication d’incidents majeurs qui ferait de Strasbourg centre un coupe-gorge plus que pour d’autres villes. Pourquoi alors de tels débats ? Et pourquoi une telle violence dans les invectives mutuelles ?

Pour les fêtards, les vidéos de Calme Gutenberg sont des appels à la délation qui évoquent « les heures les plus sombres de l’histoire » et qui incitent à la haine. Certains évoquent plus sobrement un prétendu droit à l’image, mais je n’ai vu pour l’instant aucune vidéo où l’on pouvait reconnaître quelqu’un (image soit trop sombre, soit trop floue). En revanche, certains fêtards n’hésitent pas à publier sur Facebook les photos des membres de Calme Gutenberg, voire à donner leurs noms, adresse, numéro de téléphone et email ! J’en ai vu un qui se vantait d’avoir craché sur une femme « Calme Gutenberg ». Autant de procédés qui rappellent tout autant – voire plus – les « heures les plus sombres de notre histoire », non ? Et de manière générale, les commentaires anti-Calme Gutenberg sont souvent violents, haineux, injurieux. La situation n’est pas loin de dégénérer en agression pure et simple.

A quoi est dû cette violence ? Pourquoi Calme Gutenberg, au lieu de prêter à rire ou à hausser les épaules, déclenche de telles réactions ? Pourquoi autant de gens se sentent-ils visés dans des vidéos d’hommes ivres se bagarrant dans la rue ou de simples bouteilles vides abandonnées au petit matin ?

Quand les médias officiels s'en mêlent...

Quand les médias officiels s’en mêlent…

Les faces cachées du néo-festivisme

Pour ceux qui croient encore que faire la fête, c’est une activité positive, joyeuse, qui rapproche les gens, et rend plus tolérant, je conseille de lire les commentaires de la page Calme Gutenberg. On peut juger les indignations de Calme Gutenberg ridicules, à côté de la plaque, inutiles, aigries; on n’en verra pas moins les indignations outrées des fêtards, les insultes de tous types, les menaces à peines voilées… Comme si Calme Gutenberg touchait là, presque sans le vouloir, un point beaucoup plus affectif, irrationnel et en même temps crucial, que ce qu’ils voulaient viser.

 

Il y a plusieurs niveaux d’interprétations :

1.la susceptibilité

Ce n’est jamais agréable de voir son vrai visage, surtout quand c’est celui d’un mec – ou plus rarement d’une femme – ivre mort, réduit à l’état de déchet humain, vautré par terre, pissant dans une ruelle ou criant des insanités sans queue ni tête. Si un ami me prenait en photo dans un état « minable », je réagirais de la même manière : « C’est dégueulasse de me prendre en photo sans mon accord, de quel droit tu te permets de la montrer à d’autres ? Moi aussi j’ai le droit de m’amuser de temps en temps. » plutôt que de dire : « Ah je ressemble à ça quand je suis bourré ? J’avais vraiment perdu toute dignité, je ne dois pas aller bien pour boire autant. »

2.les mots sur les choses

Cette explication n’est pas suffisante, car « se mettre minable » est malgré tout devenu un sport presque national les samedis soirs (voire d’autres soirs de la semaine). Pour beaucoup de groupes sociaux, c’est à qui boira le plus, à qui sera le plus saoul, à qui aura le plus « déliré » de la soirée. L’alcoolisme des jeunes est d’ailleurs en augmentation. Mais les vidéos de Calme Gutenberg montrent que derrière cette apparence festive, l’alcoolisme se révèle sinistre, glauque, misérable. Ce n’est pas la vidéo en elle-même qui choque (sur Facebook on peut voir des vidéos bien pires dans lesquelles les gens s’identifient presque avec fierté), mais le regard que Calme Gutenberg invite à porter sur elles.

3.la remise en question

Mais ça va encore au-delà. Ce qui est le plus choquant, les moins tolérables pour les fêtards, d’après moi, c’est que Calme Gutenberg – presque sans le vouloir – ose remettre en question la belle unanimité autour de l’intérêt de la vie nocturne. Car évidemment, sur Facebook les fêtards ne font pas l’apologie de l’alcoolisme (pas tous en tout cas !) et reconnaissent volontiers que certains excès sont désolants. Mais ces excès ne sont vus que comme des conséquences, des effets collatéraux de ces fêtes nocturnes. Or dénoncer ces conséquences, c’est dénoncer les causes, et la moindre mesure qui viserait ces conséquences (patrouilles de police, interdiction du bruit, etc.) aurait forcément des effets sur la nuit en elle-même : ça gâcherait la fête !

La fête, nouveau mot d’ordre de nos sociétés

En fait, je ne pense même pas qu’il soit question des mesures éventuelles dans ces débats : après tout, plus de patrouilles de police ne gênerait pas grand monde, et rassurerait probablement toutes celles et tous ceux qui veulent faire la fête sans risquer de se faire agresser ou importuner par des plus saouls qu’eux. C’est la simple remise en question théorique de la fête qui est insupportable.

Comme un chien à qui on vient de prendre sa balle et qui montre les dents, ou comme ces enfants à qui on demande d’arrêter de faire du bruit et qui veulent frapper leurs parents, les fêtards sont agressifs parce qu’ils ont peur qu’on vienne leur enlever leur raison d’être, ce en quoi ils tiennent presque plus que tout au monde : le droit à faire la fête. Ce droit à faire la fête est tellement entré dans les esprits qu’il faut être au minimum de la Gestapo pour avoir la cruauté et la méchanceté d’oser le questionner.

Mais qu’ils se rassurent : ce droit à faire la fête n’est pas prêt à disparaître. Non seulement parce que les fêtards se défendent et se mobilisent, mais aussi parce qu’ils ont avec eux toute une civilisation qui repose de plus en plus uniquement sur la fête (économiquement, culturellement, socialement, politiquement). Les membres de Calme Gutenberg eux-même s’en défendent à plusieurs reprises : ils ne sont pas contre la fête dans son principe, mais simplement pour retrouver un certain calme au centre-ville.

Il suffit de regarder les médias. Que ce soit pour Strasbourg, pour Paris ou pour n’importe quelle autre grande ville de France, pas une semaine ne se passe sans qu’un article de Télérama, du Plus Nouvel Obs, évidemment de Rue89, ou autre, ne vienne rappeler – asséner – la nécessité de développer la vie nocturne : maire de la nuit à Paris, horaires des bus et des métros, autorisations pour les bars et les commerces… A chaque fois les mots d’ordre sont les mêmes, dignes des slogans des régimes autoritaires (stakhanovisme ou autre) : « On ne fait pas encore assez la fête. Il faut toujours plus de fête. Ceux qui sont contre la fête sont contre la vie. » Le niveau de festivité d’une ville ou d’un pays est devenu l’étalon indiquant le niveau de progrès d’une société, et son degré de conformité avec ce que doit être une société idéale.

Vous ne me croyez pas ? Lisez ces articles ! Et à titre d’exemple, voici le chapeau d’un article intitulé Il est deux heures, Paris s’endort, le monde bouge, paru dans Télérama en octobre 2014:

« La fête se meurt. La faute à qui ? Aux voisins irascibles, à une préfecture tatillonne et aux commerçants frileux. Il est temps de se réveiller. »

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